Tous les voyageurs qui passent par la côte ouest africaine font face à la problématique de la traversée du Nigéria. On a fait le choix de contourner ce pays. Pourquoi, comment on a fait, et combien ça coûte ? 

Nous avons rédigé cet article essentiellement à destination des voyageurs qui se posent la même question. Bon voyage à vous, et soyez prudent.

Pourquoi.

Quand on parle du Nigéria, on imagine souvent un pays dangereux. Pour les voyageurs au long court ou Overlanders qui envisagent de traverser l’Afrique par la côte ouest, ce pays constitue un noeud.

Traverser ou ne pas traverser, telle est la question.

Toutes les semaines, des voyageurs passent par ce pays. Les 1500 km que représentent le voyage ne sont pas aisés, mais restent cependant faisable. Il existe un itinéraire entre Lagos et Banyo, petit poste frontalier avec le Cameroun situé dans la montagne. Et depuis longtemps, aucun incident ne serait à déplorer.

Lors de la préparation de ce voyage, nous n’avions pas exclu d’emprunter cet itinéraire. Pourtant, nous avons modifié nos plans et décidé de « shipper » depuis Lomé et jusqu’à Douala.

Avant de prendre notre décision finale, nous avons attendu d’être bien avancé en Afrique de l’ouest et d’avoir vécu déjà quelques mois de voyage. Au moment où nous nous interrogeons sur le passage du Nigéria, nous sommes en janvier 2019, et sommes en train de traverser le Burkina Faso.

Plusieurs éléments nous mettent le doute sur ce voyage à risque que nous projetons de faire au mois de mars qui suit.

  • Une période d’élection présidentielle s’annonce durant ce mois là. Et comme souvent dans les pays d’Afrique, il n’est jamais prudent de se trouver dans ces pays à cette période.
  • La saison des pluies démarre à peu près au même moment, pouvant rendre plus compliqué certains itinéraires, et réduisant le choix en matière de routes.
  • Notre configuration (remorque – tente) et nos trois enfants, nous rendent moins mobiles si nous avions besoin de bouger rapidement.
  • La sécurité sur la zone frontalière Nigéria-Cameroun s’est particulièrement dégradée fin 2018 et début 2019. Au sud de cette zone, la partie anglophone du Cameroun vit une situation de guerre civile. Au nord, Bokoharam a fait de grosses percées. Il demeure donc un étroit couloir pour passer entre les deux.

Comme nous le relatons dans cet article, nous vivons à ce moment là, le pire moment de notre voyage. Se faire braquer en pleine nuit par des hommes en Jellabah et armés de kalachnikoff, croire sérieusement à un début d’enlèvement et devoir rouler les jours qui suivent sous haute tension avec une géolocalisation par les services de sécurité pour sortir du pays sain et sauf… on a donné…

Ces évènements vécus, nous ont rappelé que nous n’étions pas partis faire ce voyage pour se faire peur ou prendre des risques inutiles. L’idée de notre voyage est plutôt de prendre du bon temps en famille.

Cette fois c’est sur, nous contournerons le Nigéria.

Comment.

Pour éviter le Nigéria, il n’y a pas beaucoup de choix.

En passant par le nord, la route fait traverser le Niger et le Tchad. Des zones encore plus dangereuses que l’itinéraire qui « passe » au Nigéria.

Par le sud, c’est la solution maritime et « shipping ». Quand on n’y connait rien en logistique portuaire, maritime et en règlementation douanière, c’est très compliqué. Et ce n’est rien de le dire.

Sur le plan douanier, lorsque nous entrons dans un pays avec notre véhicule, la douane nous délivre un « laisser passer » ou « passavant ». Ce document nous donne l’autorisation d’importer temporairement notre voiture dans le pays et de pouvoir circuler avec pour une durée définie. Selon les pays, l’obtention de ce papier coûte entre 0€ et 15€. Cette disposition est valable lorsque vous arrivez dans le pays par voix terrestre. Mais lorsque vous arrivez par le port, c’est une tout autre affaire. Le régime n’est plus le même.

Vous êtes désormais soumis aux règles douanières en vigueur dans le pays pour le commerce international, avec les taxes qui s’imposent en matière d’importation et d’exportation de marchandises. D’un seul coup, vous n’êtes plus considéré comme un touriste qui transit avec son véhicule, mais bien comme un commerçant de voiture, ou un résidant du pays qui s’achète une voiture à l’étranger. Autant dire que dans cette situation, les règles du jeu changent totalement. Se doter d’une grosse dose de patience, de beaucoup de temps pour expliquer votre situation exceptionnelle, et d’une bonne imprimante pour apporter un maximum de preuves et monter un dossier complet.

Nous choisissons donc de faire transiter la voiture entre les ports de Lomé au Togo et Douala au Cameroun. De notre côté, nous prendrons l’avion et traverserons le Nigéria par les airs.

Pour un shipping automobile, il existe deux solutions :

 

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En ce qui nous concerne, nous avons choisit le transport en container pour les raisons suivantes :

  • C’est nous qui conduisons le véhicule de l’entrée du container et jusqu’à sa sortie (pas chaud pour laisser les clefs à qqn d’autre)
  • Le tout est fermé et sellé, ce qui nous rassure quand à une éventuelle (mais courante) effraction lors de la traversée
  • Au cas où la voiture resterait bloquée au port, cela évite qu’elle soit accessible par tout le monde durant plusieurs jours (et comme notre attelage est un peu tap à l’oeil…)

La première étape est de trouver un transitaire. Il s’agit d’une entreprise qui va assurer les opérations douanières pour/avec vous. En principe, cette entreprise sait qui aller voir, dans quel bureau aller et quel dossier constituer. Mais comme en Afrique ils ne traitent pas souvent ce type de cas particulier, ils sont presque aussi perdus que vous. Ca n’aide pas… Lorsque ce sujet est réglé, ils gèrent la mise en container et l’arrimage de la voiture à l’intérieur du container.

Ensuite, ils s’occupent de transférer votre container jusqu’au bateau.

Parfois, le transitaire peut inclure dans ses services, le fret. Il s’agit de la partie transport en bateau d’un port à un autre. En ce qui nous concerne, nous avions dissocié les deux entreprises, bien qu’elles fassent partie du même groupe. MedLog Togo pour le transitaire au départ et MSC pour le Fret. Pour le transitaire à l’arrivée, nous travaillerons avec Bolloré Cameroun. 

Pour les opérations à l’arrivée, c’est semblable à celles du départ. Assistance au dédouanement et transport du container du quai jusqu’a la zone de récupération pour ouverture et sortie de la voiture.

Ca parait simple comme ça, mais ça peut s’avérer long et compliqué, pour de nombreuses raisons :

  • Vous ne connaissez pas le métier et les process
  • Vous avez beaucoup de mal à estimer les délais et donc à vous organiser en conséquence
  • Vous ne comprenez rien au langage et au vocabulaire utilisé
  • Vous ne comprenez rien aux devis qui vous sont proposés
  • Il est difficile d’avoir un budget définitif avant de recevoir la facture finale (certains coût sont variables dans le temps)
  • Selon les pays et les ports, c’est un peu « magouilles et compagnies »

Après coup, on se dit que cela nous a permis de découvrir un univers jusqu’alors inconnu, de connaitre de nouveaux métiers, d’aller dans des lieux que nous n’avions jamais fréquenté, mais de voir tout de même … pas mal d’aberrations à plusieurs niveaux.

 

Délais.

Voici le planning :

  • 26/03 – Arrivée au port de Lomé pour chargement
  • 30/03 > 06/04 – Transit de Lomé à Douala
  • 27/04 – Sortie du port de Douala (soit plus de 4 semaines bloqué au port)

Ce délais comprend :

  • Un entretien avec le directeur général des douanes camerounaises pour expliquer notre situation et obtenir une lettre facilitante
  • L’obtention de la caution confraternelle de Bolloré (suite à la demande du DG des douanes)
  • L’établissement d’une carte de contribuable camerounais (obligatoire pour retirer une marchandise qui passe par la douane)
  • L’établissement des devis par Bolloré et quelques heures de discussions pour (tenter de) comprendre ce qui est compris et ce qui ne l’est pas (donc les surprises à venir)
  • Rencontrer les N-2, N-3,N-4, et N-5 du DG des douanes pour leur présenter la lettre du DG et que tout ce petit monde se mette en ordre de marche
  • Négocier la valeur de la voiture et de la remorque avec les douanes 
  • Effectuer les paiements pour les Douanes auprès de la banque et attendre le récépissé pour confirmation de paiement aux services douaniers
  • Mettre de l’huile dans les rouages de Bolloré pour accélérer leurs process internes (un dossier peut parfois mettre une journée pour changer d’étage au sein du même bâtiment…)
  • Attendre le transfert du container du port jusqu’à la zone de déchargement

 

Combien.

  • Transit au départ avec MedLog : 986€
  • Fret avec MSC : 2240€
  • Transit à l’arrivée avec Bolloré comprenant essentiellement les frais et taxes portuaires : 2623€

Coût total de l’opération : 5849€ auxquels on peut ajouter les billets d’avion pour 5 personnes (1300€). Aïe… ça fait mal. D’autant plus que c’est à peu près le double entre les premiers devis et la réalité des factures à l’arrivée.

Voilà… c’est le prix de la sécurité pour notre famille. Nous ne regrettons rien. On le referait.

Il existe probablement une version plus économique en choisissant un port de destination plus au sud, comme à Walvis Bay en Namibie par exemple. Mais cela nous obligeait à renoncer à la traversée de nombreux pays que nous voulions vraiment découvrir.

Pour le fret, une solution Roro aurait pu également être (un peu) mois cher.

 

En conclusion.

Pour nous, ce fût long et relativement compliqué. Il y avait de nombreuses inconnues quand on s’est lancé. Au final, on s’est surpassé et on y est arrivé 😉 

On pensait être parti en voyage avec peu d’affaires mais le fait d’être sans notre « maison » et de devoir voyager en sac à dos, nous a obligé à faire encore plus simple, à s’alléger un peu plus. Cela nous a donné l’occasion d’expérimenter un autre mode de voyage ce qui était plutôt cool sur ce plan. Mais pour nous qui avions l’habitude de cuisiner et de dormir dans notre petite maison, on était souvent à l’hôtel et au resto la plus part du temps, ce qui fût un pénible à la longue. Du coup, ça été l’occasion de séjourner un peu plus longtemps chez certains bons et vieux amis, ou de gouter la générosité de ceux qui nous ont prêté leur maison.

Durant cette période, nous avons rencontré de nombreuses personnes qui ont tout fait pour nous aider dans nos démarches. Xavier qui nous a mis en contact avec Yves, qui lui-même nous a obtenu un rendez-vous avec Rafael, du cabinet du DG des douanes. Le DG qui nous a mis en contact avec Bolloré. Amaury, Charles et leurs équipes qui nous ont accompagné dans toutes nos démarches au port. Tout comme Donatien, qui nous a en plus donné les clefs de sa maison le temps que notre voiture sorte du container. Et sans le soutien de toutes ces personnes, nous n’aurions probablement pas réussi ce challenge…